Nous avons eu la chance d’assister aux 20 ans du Panathlon Wallonie-Bruxelles. Lors de cet événement, le discours de Marouan Abdallah nous a particulièrement touché. Nous voulions vous le faire partager :
Vingt ans, l’âge des conquêtes fabuleuses
Vous attendez probablement que je vous divertisse, que je vous serve des rêves à la réglisse, que je sois lisse et pourquoi pas…plein d’espoir. Mais au risque de vous décevoir, j’ai dans mon sac-à-dos, des faits d’actualité qui mériteraient l’échafaud.
« Mon père était dans les commandos, ma mère était dans les SS. Et ensemble, ils ont brûlé des Juifs, parce que ce sont les Juifs qui brûlent le mieux ». Voilà des mots ignominieux qui nous rappellent les pires maux de l’histoire. Des paroles chantées en cœur, l’horreur scandée par des supporters brugeois, qui soufflent sur la haine comme on souffle sur un feu grégeois.
Il n’y a plus de joie, ni d’euphorie dans ce dédale de bouffonneries. N’allez pas me dire qu’on est face à des jeunes qui festoient. Que tout cela est normal...ou pire encore...que tout cela est banal. Je vous le dis, il ne reste là que des turlupinades d’hébétés, du racisme et du ressentiment. Et pendant ce temps, Lukaku est traité de sale noir et ce n’est qu’un avant-goût. Croire que ces faits jaillissant des égouts sont isolés, désolé mais c’est bricoler avec la réalité. Qui oserait aujourd’hui, m’accuser d’extrapoler ? Si le racisme avait son mausolée, nous ne serions pas ici…mesdames et messieurs. Non...
Nous ne serions pas ici à fêter le Fair-Play. On fermerait boutique, on irait se perdre dans les prairies périssables de la naïveté et comme des autruches, on mettrait nos têtes dans le sable pour ne pas voir cette calamité.
Cette calamité qui nous nargue tous les jours, dans les gradins, sur le terrain et même dans nos jardins. Car oui, finalement tout commence chez nos bambins.
Quand le petit Kevin, le vague à l’âme, pousse Sofia dans le bac à sable, alors qu’ils jouaient… mon souhait, c’est qu’un adulte lui murmure l’incroyable sagesse du Fair-Play.
Le Fair-Play ne s’apprend pas, il se ressent. Le Fair-Play se plait à faire ce qu’il faut faire. C’est-à-dire, nous rendre lumineux quand l’obscurité, tenace et menaçante, nous menace. Quand cette médiocrité ombrageuse qui sommeille en chacun de nous, oui en chacun de nous… se lève alors qu’on est assis. Si vous doutez et que cela vous semble futile, posez la question à l’oreille d’Holyfield ou à la poitrine de Materazzi, ou écoutez-vous lorsqu’une personne vous grille la priorité et qu’il n’y a, autour de vous, aucun paparazzi...
Il y a peut-être derrière un Ministre, un enfant qui n’aimait pas perdre. Il y a peut-être derrière moi, le souvenir d’un sportif noyé dans la déraison. Il y a peut-être derrière une magistrate, une jeune fille qui sur un terrain de Paddle perd la raison comme Phèdre. « Merde au Fair-Play « voilà l’onomatopée que vous avez tous, courageusement, refusé d’adopter.
Car si vous êtes là ce soir, au-delà des mondanités et de l’ivresse d’une soirée, ô combien délicieuse, si vous êtes là ce soir, c’est que vous êtes de cette espèce qu’on appelle les rêveurs. Ces rêveurs qui bâtissent des ponts entre la nuit et le jour. Ces rêveurs qui n’ont pas peur de faire preuve de bravoure, de justice et d’honnêteté, dans un monde où les violences, parfois, hélas trop souvent, surgissent pour que nos valeurs finissent molestées.
« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans », disait Rimbaud. Heureusement, le Panathlon Wallonie-Bruxelles fête, ce soir, ses vingt ans. « Et les jambes de vingt ans sont faites pour aller au bout du monde » disait Christian Bobin. Puisse le Panathlon Wallonie-Bruxelles ne jamais s’arrêter en si bon chemin.
par Marouan Abdallah, écrit et prononcé lors de la soirée célébrant les 20 ans du Panathlon Wallonie-Bruxelles au Centre Culture d’Auderghem le 18 décembre 2023